Seuls sont les indomptes by Edward Abbey

Auteur:Edward Abbey [Abbey, Edward]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2015-09-16T03:00:00+00:00

11

ELLE émergea lentement du sommeil, quitta son rêve d’un passé irréaliste en entendant dans le présent, proche d’elle, le cliquetis d’un interrupteur, les pas légers dans la cuisine, les raclements de lourds objets qu’on déplace. Alarmée, elle tendit le bras pour toucher Paul – il n’était pas là. La douleur triste de la perte et de la séparation la submergea ; dans cette aube de conscience entre le sommeil et le réveil, elle éprouvait le poids immense de la peur, du chagrin et de la solitude qu’elle avait partiellement étouffés au cours de ses heures éveillées par une routine d’activités et d’optimisme vain. Elle entendit à nouveau les sons étrangers. À contrecœur, elle ouvrit les yeux, tourna la tête et vit, sous la porte menant à la cuisine, un rai de lumière jaune. Elle fut étonnée, puis effrayée, saisie un instant par la paralysie de l’inconnu, de l’inattendu. Elle voulait sortir de son lit, mais elle craignait de faire du bruit. Elle retint son souffle, déglutit avec peine et s’obligea enfin à parler. Elle cria :

— Qui est là ?

Un croassement à peine articulé.

Qui ne reçut aucune réponse ; les bruits dans la cuisine continuèrent. Elle entendit un objet lourd et solide heurter le plancher.

— Qui est là ? demanda-t-elle plus fort et plus distinctement.

Un instant de silence, puis la voix de Jack Burns :

— C’est moi, Jerry. C’est Jack. T’es réveillée ?

Elle se glissa au bas du lit, se démêla rapidement les cheveux d’une main, se rendit à la porte et l’ouvrit. Jack était là, lui adressant un faible sourire et plissant les paupières dans la lumière ; il portait sa sacoche de selle sur son épaule, sa carabine dans la main droite. Elle le dévisagea et se frotta les yeux.

— Où étais-tu ? demanda-t-elle. En prison ?

— Oui. J’y suis entré et j’en suis sorti. Et si…

— Où est Paul ? Il va bien ? Il s’est passé quelque chose ?

— Tout va bien. Paul est là où il a envie d’être. Et si tu me faisais un café ? Il faut que je reparte dans quelques minutes.

— Qu’est-ce qu’il t’est arrivé au visage ? Tu as une sale mine.

— Rien de bien grave… Juste un petit accrochage.

— Mais mon Dieu, Jack… (Pas encore tout à fait réveillée, elle hésita, pataugeant dans ses peurs et ses impressions.) Que s’est-il passé, dis-moi ? Tu t’es évadé de prison ?

— Tu trembles. Pourquoi tu irais pas enfiler quelque chose de chaud ? (Elle le dévisagea.) Vas-y… Je vais allumer un feu dans le poêle et je vais te raconter tout ce qui s’est passé. Dépêche-toi, je vais pas pouvoir rester longtemps.

Elle entendit ses paroles, prit conscience de la fraîcheur de l’air, de la chair de poule sur sa peau. Elle retourna à la chambre, enfila ses chaussons et passa une grosse veste par-dessus son pyjama. À son retour dans la cuisine, elle trouva Jack qui enfournait du papier et du petit bois dans le foyer du poêle.

— Allumettes sur l’étagère,

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